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Plume d'Art

quelques mots sur l'art au bout d'une plume !

  • Photo du rédacteurMarianne Jagueneau

La cruche cassée : l'innocence perdue selon Greuze

Dernière mise à jour : 17 juin 2021


Pendant plus d'un siècle, l'oeuvre de Jean-Baptiste Greuze (1725-1805 ) est restée dans les oubliettes de l'histoire de la peinture française. Pourtant, tout avait bien commencé pour le jeune peintre originaire de Tournus, dont les débuts au Salon ont été acclamés. Mais alors, pourquoi fut-il parfois tant décrié, puis oublié ? L'oeuvre que je vais vous présenter aujourd'hui est peut-être l'une des clé de cette énigme, tant elle symbolise toute l'ambiguïté de l'ensemble de son oeuvre.


La cruche cassée de Greuze est une peinture française du siècle des Lumières qui représente la perte de l'innocence et de la virginité, dans la société bourgeoise
La cruche cassée, vers 1771, huile sur toile, 109 x 87 cm, Paris, musée du Louvre



Greuze avant la cruche cassée : un jeune artiste au talent prometteur


Fils d'architecte, le jeune Jean-Baptiste Greuze débute sa carrière dans sa ville natale de Tournus en s'exerçant au dessin. Dès 1740, son talent pousse son père à l'envoyer parfaire sa formation artistique à Lyon, auprès du portraitiste Charles Grandon (1691-1762). En 1750, son ambition le conduit à Paris, où il suit les cours de Charles-Joseph Natoire (1700 - 1777), un peintre au talent incontesté.


En 1755, l'abbé Gougenot, grand collectionneur d'art ayant remarqué son talent, envoie Greuze achever sa formation artistique en Italie, plus précisément à Rome et à Naples. Lors de ce voyage, il ne semble pas sensible aux peintures mythologiques qui s'offrent à sa vue. Il montre cependant un réel intérêt pour les scènes de la vie quotidienne et semble séduit par le côté pittoresque de la vie populaire locale. C'est à Rome qu'il peint sa première toile fameuse, les oeufs cassés (1756, huile sur toile, 73 x 94 cm, New-York, Metropolitan Museum of Art). Celle-ci reprend les codes de la peinture de genre d'inspiration hollandaise telle qu'on la retrouve tout au long du XVIIIe siècle: une scène de la vie quotidienne prise sur le vif, dans un intérieur épuré, avec un jeu de lumière guidant le regard du spectateur au coeur de l'action. Dès lors, la carrière de Greuze est une oscillation entre deux genres de peinture au prestige bien différent.


Greuze avant la cruche cassée : de la peinture d'Histoire à la scène de genre


A cette époque, la peinture académique est hiérarchisée autour de cinq grandes thématiques : La peinture d'Histoire, le portrait, la scène de genre, le paysage et la nature morte. Tout artiste qui a l'ambition de laisser une trace indélébile dans l'histoire de l'art souhaite être reconnu comme peintre d'histoire, le "grand genre". La scène de genre, sans être tout en bas de cette pyramide académique, ne fait pas partie du duo de tête. Cette hiérarchie des genres, aussi importante soit-elle, n'est toutefois pas un obstacle pour accéder à la renommée. Jean-Siméon Chardin (1699 - 1779), contemporain de Greuze, fut reçue à l'académie en tant que peintre de nature morte et connu une glorieuse carrière.


Rapidement, Greuze semble justement s'inspirer du style moralisateur de son ainé pour composer certaines de ses toiles. Il emprunte à Chardin un thème qui lui est cher, celui de la figurine enfantine et s'intéresse beaucoup aux relations filiales. Son diptyque, la Malédiction paternelle, confirme son talent indéniable pour la scène de genre. Avec le fils Ingrat (1777, huile sur toile, 130 x 163 cm, Paris, musée du Louvre), puis le fils puni (1778, huile sur toile, 130 x 163 cm, Paris, musée du Louvre), Greuze propose une oeuvre affirmant des valeurs morales et familiales qui trouvent un réel écho dans la société bourgeoise de la seconde moitié du règne de Louis XV. Ces deux oeuvres content l'histoire dramatique d'un fils s'engageant dans l'armée contre la volonté de son père. L'ingrat se retrouve alors puni lorsqu'à son retour, son père est mort de chagrin.


La malediction paternelle, le fils ingrat, Greuze, musée du Louvre, peinture française
le fils ingrat
la malédiction paternelle, Greuze, le fils puni, musée du Louvre, peinture française
le fils puni


En 1769, Greuze décide de présenter comme morceau de réception à l'Académie l'Empereur Septime Sevère reproche à Caracalla, son fils, d'avoir voulu l'assassiner. Loin de lui valoir la gloire qu'il a tant espéré, cette toile ambitieuse est accueillie avec froideur et plutôt que d'être admis à l'Académie en tant que peintre d'Histoire, il ne devient "que" peintre de scène de genre. C'est un véritable camouflet pour l'ambitieux peintre, dont la toile à la dimension héroïque et tragique évidente annonçait pourtant les chefs d'oeuvre de David quelques décennies plus tard.

Septime Sevère et son fils Caracalla, musée du Louvre, Greuze peinture française néo classique
1769, huile sur toile, 124 x 160 cm, Paris, musée du Louvre


Greuze, la jeune fille et sa cruche cassé


Echaudé par cet échec, Greuze se détourne du Salon et de l’Académie, sans pour autant cesser de peindre. En 1771, Il répond à une commande de Madame du Barry, favorite du roi Louis XV et grande amatrice d’art, peut-être pour orner ses appartements privés au château de Louveciennes. La toile y sera en effet retrouvée à la Révolution.

Comme à son habitude, Greuze choisit pour sujet une figure juvénile, qu’il dessine avec précision. Le visage est doux, les joues rosies, la coiffure soignée et délicate. Dans un paysage idéalisé, la jeune fille tient dans ses mains un bouquet de fleurs, et une cruche fendue est pendue à son bras. La toile est plaisante, un peu mièvre mais bien exécutée.

Mais ici, ce qui interpelle, c’est aussi l’ambivalence de son sujet. A y regarder de plus près, la jeune fille n’est pas si innocente que ça, sa candeur est un peu exagérée : sa tenue est débraillée, et les roses qu’elle tient dans ses mains sont rassemblées au niveau de ses hanches, tandis qu’elle fixe le spectateur d'un regard un peu hésitant. De là à imaginer que cette cruche cassé symbolise sa virginité perdue…



Au delà de la cruche cassée : la perte de la virginité un thème récurrent chez Greuze

Greuze, Edimbourg, jeune fille pleurant son oiseau mort, peinture française
Jeune fille pleurant son oiseau mort

Déjà à Rome, lorsqu'il peint les oeufs cassés, il aborde ce thème, mais l'insère cette fois dans le cadre familiale. La scène se déroule en effet au sein d'un foyer, un jeune homme se fait sévèrement réprimander pour avoir casser des oeufs aux pieds d'une jeune femme honteuse, les yeux baissés.


Avec la jeune fille pleurant son oiseau mort (1765, huile sur toile, 52 x 45 cm Edimbourg, National Gallery of Scotland ) la jeune femme représentée parait cette fois effondrée par la perte de son "oiseau".


Ainsi, Greuze se joue du spectateur en proposant des toiles ambiguës dont le niveau de lecture diffère selon l'interprétation de celui qui les regarde. Cette ambivalence lui vaudra bon nombre de critique. On est en effet loin des personnages vertueux et sans ambiguïté que l’on retrouve dans les toiles de Chardin dont je vous parle ici !



==> Tandis que Greuze se concentre sur la peinture de scènes de genre, à la même époque l'architecte Richard Mique s'attèle à la construction d'un projet insolite, dans les jardins du château de Versailles. Pour en savoir plus, c'est par ici !


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