Le graphisme délicat et soigné des affiches publicitaires d'Alphonse Mucha (1860 - 1939) a été largement imité, et a même tendance à revenir à la mode, ce qui nous rend son œuvre familière. Pourtant, son travail va bien au-delà de ces affiches et cette rétrospective nous permet de découvrir l'ampleur de son talent.
Une formation artistique à travers l'Europe
Né en 1860 en Moravie, région faisant partie de l'Empire d'Autriche et correspondant à l'actuelle République Tchèque, Alphonse Mucha s'intéresse assez tôt à l'art du dessin. A 15 ans, il soumet même sa candidature pour intégrer l'Académie des Beaux Arts de Prague, mais essuie un refus. Il persévère néanmoins et commence à travailler à son compte. Dix ans plus tard, il a enfin la possibilité d'étudier, d'abord à Munich puis Paris où il rejoint la fameuse Académie Julian, qui verra notamment passer entre ses murs de talentueux artistes à l'instar de Fernand Léger, Paul Sérusier, ou Marcel Duchamp.
Un succès immédiat dans le Paris de la Belle-Epoque
A Paris, sa production artistique est concentrée sur la création d'affiches publicitaires qu'il publie dans des revues. Ses illustrations connaissent un grand succès auprès de la société parisienne, en plein renouveau. Rapidement, il se crée un véritable univers graphique, centré autour de la figure féminine, qu'il magnifie par des couleurs chatoyantes et des ornements élaborés à partir de motifs végétaux.
En 1895, la célèbre actrice Sarah Bernardt se produit au théâtre de la Renaissance dans le drame de Victorien Sardou, Gismonda. La confection de l'affiche publicitaire est confiée à Mucha, qui saisit cette occasion d'accéder définitivement à la renommée. Il rompt avec le style traditionnel et propose une affiche tout en contraste, qui sera une référence pour la définition de son identité artistique. D'un format plus haut que large (216 x 74,2 cm) elle épouse parfaitement les contours des colonnes Morris, destinées à l'affichage publicitaire. Au-delà de cet aspect pratique, ce format tout comme le corps longiligne de l'actrice sont des emprunts à certains codes de l'estampe japonaise. L'omniprésence du motif végétal (le rameau, la couronne de fleurs, les broderies de la tunique) nous rappellent l'appartenance de Mucha au mouvement Art nouveau. Le décor qui orne le fond de l'affiche est particulièrement soigné, principalement composé de mosaïque.
Comble de l'audace, les éléments décoratifs insérés par l'artiste sur son affiche, supposée faire la promotion d'une pièce de théâtre et de son actrice vedette, dissimulent en partie le nom de la comédienne, tandis que celui du théâtre en réchappe de peu ! Peu importe, Sarah Bernardt est conquise et fera appel de nombreuses fois aux talents de Mucha.
L'art de représenter le beau à travers toute chose
Contemporain de Klimt (mais si, souvenez-vous !), Mucha contribue à l'essor du mouvement Art nouveau par la création de nombreux décors intérieurs. A Prague, il a travaillé pour plusieurs théâtres et même pour un château. A Paris, il s'attèle à imprégner de sa touche les cafés et les boutiques à la mode, mais veut aussi investir les intérieurs des particuliers. Il décide donc d'imprimer ses lithographies en plusieurs milliers d'exemplaires à des prix accessibles. La stratégie fonctionne et le succès est immédiat.
Selon la conception du mouvement Art Nouveau, le beau se trouve en toute chose, et tout objet du quotidien peut devenir une œuvre d'art. C'est ainsi que les dessins de Mucha se retrouvent sur des boites en métal, servent d'illustrations dans des revues ou de modèles pour la confection de vases, de vaisselle et même de bijoux. Mucha travaille aussi à la création d'objets publicitaires pour de prestigieuses enseignes telles que Moët & Chandon ou les biscuits Lelièvre. Depuis l'affiche de Gismonda, il a peaufiné son style et s'attache à utiliser des figures féminines élégantes et sûres d'elles, parées d'atours et bien souvent entourées d'un cercle orné de motifs végétaux, leur conférant une dimension symbolique. L'artiste tchèque a trouvé une recette qui fait vendre, et ne se prive pas de la décliner à l'infini!
L'épopée slave
Fort de son succès parisien, Mucha n'oublie toutefois pas ses origines et s'intéresse à la culture slave. Au fil des années, son intérêt pour la spiritualité et le symbolisme s'est fortement développé, en même temps que son patriotisme, ravivé par les évènements liés à la première Guerre Mondiale. Il rejoint alors la tout récemment constituée Tchécoslovaquie et se consacre presque uniquement à la conception de l’œuvre de sa vie : un ensemble de toiles qu'il regroupe sous le nom d'épopée slave. Présentée en 1928, cette œuvre chronologique est un hommage à sa culture et aux peuples slaves réunis sous le drapeau de ce nouveau pays. Pendant plus de15 ans, il va peindre des toiles de grands formats qui abordent différents thèmes historiques de la culture slave, avec une place importante consacrée à la religion. Ces œuvres sont impressionnantes tant par la qualité du dessin que par la richesse de la composition en elle-même. Sur la toile ci-dessous, représentant une scène de couronnement, on reconnait aisément la marque de fabrique de Mucha en observant la figure féminine coiffée d'une couronne de fleurs, au premier plan. Mais l'ensemble de la scène présente un grand nombre de détails et une multitude de personnages représentant toutes les classes sociales venues acclamer le nouveau tsar. On notera la touche vaporeuse de la toile qui lui confère une réelle aura mystique.
Le couronnement du tsar serbe Stefan Dusan comme empereur byzantin, 1926, huile sur toile,
480 cm x 405 cm
Une exposition complète pour un artiste fascinant
L'exposition proposée par le musée du Luxembourg est complète et nous permet de découvrir de manière chronologique les différentes étapes qui ont façonné la carrière de Mucha. C'est un affichiste, certes, mais pas uniquement, et le musée parvient à nous présenter l'ensemble de la carrière de l'artiste avec un certain équilibre. Ainsi, on découvre avec plaisir que Mucha est un intellectuel, philosophe et fervent patriote, mais aussi qu'il a fait partie de la franc-maçonnerie. Objets, affiches, publicités, illustrations dans des revues ou des ouvrages littéraires, pastels, peintures, et même photographie - Mucha s'était constitué un important catalogue de photographies de femmes qu'il utilisait comme modèle pour ses dessins - l'artiste est prolifique.
Lorsque l'épopée slave est présentée, une reconstitution numérique est proposée afin que nous puissions appréhender l’œuvre dans son ensemble, et en découvrir les moindre détails. Sans audio-guide, le film manque de détails historiques sur l'histoire slave, mais cette partie de l'exposition a tout de même le mérite de nous proposer des agrandissements pour l'ensemble des 20 toiles qui constituent l'épopée.
Comme toujours au musée du Luxembourg, l'espace consacré à l'exposition est malheureusement restreint. A chaque fois le problème de la sur-fréquentation se pose et même si je me réjouis du succès des différentes expositions, je me demande pourquoi nous faire réserver un créneau à heure fixe, si c'est pour faire entrer autant de monde. A 14,50 euros l'exposition d'environ une heure (on resterait volontiers davantage, mais il est difficile de s'arrêter devant chaque œuvre étant donné la foule) c'est quand même regrettable. D'autant que si l'on y réfléchit, ce problème semble propre aux musées français. Que ce soit à Vienne, à Rome ou encore à Londres, les visites sont toujours plus confortables. Souhaitons malgré tout à cette rétrospective le succès des expositions précédentes !
A conseiller pour : les nostalgiques de la Belle Époque, les amateurs d'Art nouveau et les passionnés d'art d'une manière générale.
Les infos:
Rétrospective Alphonse Mucha
du 12 septembre au 27 janvier 2019
Musée du Luxembourg
19 rue Vaugirard 75006 Paris
13 euros (14,50 euros pour le billet coupe-file réservé sur internet)
Pour plus d'infos, c'est par ici : https://museeduluxembourg.fr/expositions/alphonse-mucha
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